lachroniquedesEtoiles

 
Malgré la pénombre, elle pouvait encore distinguer sa silhouette. L'odeur âpre du sang emplissait ses narines. Elle savait bien qu'elle ne reverrait plus jamais la lumière du jour. Elle devinait qu'il allait la tuer. Mais jamais ne saurait pourquoi. Il les protégeait depuis leurs arrivées à la Cour. Les éloignait des ardeurs et jalousies. Écartait les épées de leurs gorges. Déjouait les complots contre elles...
 
Et pourtant, ce soir, il se tenait là insaisissable, dangereux, sauvage, sa fine lame pointée sur elle, prêt à asséner un coup mortel. Elle jeta un rapide coup d'œil à ses sœurs d'infortune, autrefois si belles, désormais couvertes de sang, cadavériques. Onze jeunes femmes choisies pour leur beauté, souillées pour la luxure. Mortes en une minute...
 
Il s'approcha d'un pas. Elle sentit la pointe acérée de l'épée percer légèrement le creux de sa poitrine. Il était toujours aussi grand, aussi imposant. Aussi froid. Le noir de ses pupilles n'exprimait aucune compassion, la fixant avec une indifférence totale. Lentement, il fit glisser sa lame vers le ventre de la pauvre malheureuse. La douleur était vive, brûlante, mais elle se refusait à crier. Il arrêta sa lame. Pourtant hurler, ce n'était pas l'envie qui lui en manquait. Elle n'aurait pas droit à une mort rapide comme ses camarades. Il allait la faire souffrir avant. Pas de coup d'épée dans le cœur pour elle. Elle allait devoir se voir mourir, sentir la vie s'enfuir. Tel était la funeste fin réservée à la Rouge. La Favorite du Roi. Il caressa du revers de sa main gantée sa joue, s'approcha et déposa un baiser sans âme sur ses lèvres. Son épée plongea alors.
 
Bientôt le baiser eut un goût de sang. Tandis que son corps fut recouvert de soubresauts maladroits, elle défit le baiser, tentant tant bien que mal de reprendre sa respiration, cherchant les quelques vaines brides d'air qui pourraient la ramener à la vie. Chaque spasme déchirait un peu plus sa plaie béante, l'éventrant davantage.
 
Dans les bras de cet homme, elle crachait le fluide rouge en abondance. Il retira d'un coup sec l'épée de son abdomen. Cette fois, elle ne put contenir un cri horripilant. Son corps ne lui répondit bientôt plus.
 

Il l'allongea et resta à son chevet le temps de sa longue agonie. Il lui caressait sans cesse le visage, attendant sa mort. Seuls les yeux du Joyau Rouge lui obéissaient encore. Elle le fixait, encore et toujours, voulant garder son visage froid pour dernière image, refusant de flancher devant ce Général. Lorsque son cœur émit son dernier battement et que ses lèvres échappèrent leur dernier souffle, elle resta ainsi figée, yeux ouverts, soutenant les iris de celui qui autrefois fut son protecteur. Son regard terne ne l'affecta cependant pas.

 
Il se releva et contempla la scène macabre dont il était responsable. Sans une once de culpabilité il enjamba les corps et sortit de la chambre. Le couloir était plongé dans le noir, personne ne pouvait le remarquer. Il sortit de sa poche douze anneaux en diamants. Il sut qu'il avait réussi sa mission, lorsque les douze bijoux se teintèrent chacun à leur tour d'une couleur propre. Il les rangea dans sa poche et rebroussa chemin, en direction des appartements du Roi. Sur le trajet, il croisa une suivante des Étoiles. Elle portait à bout de bras tonne de linges et draperies, bien trop lourds et encombrant pour une jeune fille de rase campagne. Alors qu'il pénétra dans l'aile royale, il entendit le hurlement d'horreur de la jeune servante. Suivi de près par le rire de son Roi.

 

Dans une société de Cour régentée par la luxure de son souverain, le meurtre des douze courtisanes attitrées du Roi est un coup de tonnerre. Douze nouvelles jeunes femmes doivent être ramenées de toute urgence au palais pour remplacer celles assassinées. 

 
Chiara Thémis apprend abruptement qu'elle est l'une de ces douze élues. Et pas n'importe laquelle, l'Etoile Rouge de la Couronne, la favorite absolue.

 
Rejetant ce nouveau train de vie fait de chair et de sang, elle sera, comme les onze autres jeunes femmes choisies, mise sous la tutelle du Général royal.

 

Ne voyant pas d'un bon œil l'emprise grandissante du Roi sur les Etoiles, elle cherche à fuir. Mais duper le Général Galanhilde est plus ardu que prévu. Et lorsque la mort s'invite à nouveau au palais de Bordeciel, elle devra vite décider si elle doit en faire un allié.

 

Devenue malgré elle figure majeure du Royaume, la jalousie et la convoitise que l'anneau rouge à son doigt attise deviennent son quotidien.

 

Un simple bijou dont la couleur ne peut conduire qu'à deux destinées...

 

L'amour ou le sang.

 

 

 

Titre : L'Etoile Rouge

Genres : Romance, Drame, Mature, Mystère, Fantasy

Rating : T à M

Chapitres : Un - Deux - Trois - Quatre - Cinq - Six - Sept - Huit - Neuf - Dix - Onze - Douze - Treize - Quatorze - Quinze - Seize - Dix-sept - Dix-huit - Dix-Neuf - Epilogue

  

 

 

 

 

 

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Si ce n'est sur des éléments des tous premiers chapitres.

Ils défilaient les un après les autres, étalant leurs richesses infinies dans l'espoir de combler autant mes parents que moi. C'en était ridicule à la longue.

 
Je soupirai. La voix suppliante de ma mère en disait beaucoup sur l'attente de ma réponse, elle qui priait chaque nuit pour qu'enfin je dise oui à l'un d'entre eux. Je n'avais quasiment rien écouté de l'entrevue, en connaissant déjà le dénouement. Lorsque je daignai enfin poser un œil peu amène au nouvel étranger, je le vis, genou à terre, me tendant une bague sur laquelle trônait un énorme joyau. Mes parents se tenaient désespérément les mains, espérant que je hoche la tête. Hélas pour eux... 

_ Plutôt mourir..., ils allaient encore devoir attendre.

 

Je filais en quatrième vitesse, le son des protestations de mes parents dans le dos. Ma famille était loin d'être modeste pourtant. Leur ferme avait chaque année une récolte plus qu'abondante et nos rentes étaient bien supérieures à celle des autres paysans du village. Même la sécheresse de ces derniers mois avait épargné nos champs. Nous étions de ces familles respectables mais rien n'y faisait. Ils voyaient plus grand. Nous étions aisés mais très loin de la bourgeoisie et c'était frustrant pour eux, en particulier pour ma mère. Je sentis soudain un petit caillou frapper mon dos. Je levais les yeux au ciel, avant de me retourner face à mon double au masculin. Caleb. Il affichait un sourire satisfait.

Il partit dans un fou rire. Il était le seul ici à me comprendre. Le seul pour qui mes rejets incessants étaient censés.

_ Non ce devait être sa collerette..., répondis-je en mimant l'impressionnant col en dentelle de la chemise à jabot du bourgeois.

Ce geste relança Caleb dans son hilarité et bientôt je me joignis à lui. Il était aussi beau que moi et nombreuses étaient les jeunes femmes de bonne famille qui le désiraient en secret - ou pas d'ailleurs, tout dépendait de la femme en question. Cependant, mon frère avait une sainte horreur de l'engagement. Non lui, ce qu'il aimait, c'était flirter avec le danger. Briser les couples aussi. Séduire afin d'obtenir leurs bonnes grâces et ruiner les mariages. Un peu particulier et fichtrement idiot, mais il était comme ça.

A cause de mes divagations intérieures, j'eus un peu de mal à raccrocher à la discussion initiale. Quand j'y parvins enfin, le son des trompettes militaires se fit entendre, nous détournant de notre échange. Très vite, le clocher de l'église du village suivit.

_ Qu'est-ce qu'il se passe ?, m'inquiétai-je.

_ Aucune idée..., me répondit mon frère soudain soucieux. Va prévenir les parents, je vais préparer la calèche !

Mais je préférai éviter toute rencontre avec mes parents, surtout ma mère. Je l'adorais sincèrement, mais son empressement à me voir marier tournait à l'obsession ces derniers temps. Aussi je sautai dans la voiture cognant le plafond pour donner l'ordre de partir avant même que Caleb ne réalise ce qu'il se passait. Il me dévisagea un instant, réprobateur, avant d'abdiquer.

 

La place du village avait été littéralement prise d'assaut. Noire de monde, le brouhaha de la foule réussissait même l'exploit de couvrir le son des cuivres. Au loin, les gardes royaux, droit comme des I sur leurs montures impeccables, étaient parfaitement visibles.

_ Ce n'est pas bon ça..., grogna Caleb.

 

Il eut un regard que je ne lui avais plus vu depuis longtemps. Naturellement je pris sa main. S'il la serra au début, je la sentis se figer, se glacer. Il écarquilla les yeux et émit un murmure inaudible.

_ Vous n'êtes pas au courant ?, clapa un villageois à son voisin un peu plus loin. Je tendis l'oreille. Les Étoiles du Roi ont été assassinées la nuit dernière...

Mon front se plissa. Les quoi ?

Aucune réponse. Il était toujours immobile à fixer les soldats. Je perçus son juron néanmoins.

_ Miss Thémis !!, je sursautai en couinant à cette voix et tournai la tête. Aux grands signes que me fit le boulanger du village, je devinais qui était le responsable de mon sursaut. C'est vous qu'ils sont venus chercher !!
_ Hein... ?

Je sentis alors le souffle de Caleb au creux de ma gorge.

_ Cours..., lâcha-t-il sérieux.

Il me poussa en dehors de la foule. En vain. Les gardes encerclaient déjà la masse agglutinée. Aussi à peine eus je le temps de faire trois pas, que cinq chevaux me barrèrent la route, tous montés par d'impressionnants gardes. J'étais prise au piège. Le son de sabot dans mon dos m'obligea à me retourner. A contre jour, je fus aveuglée par la lueur des rayons du Soleil.

_ Chiara Thémis ?, la voix était calme, posée, stricte mais aussi extrêmement suave et délicieuse. Sans vraiment que je ne comprenne pourquoi, mon corps fut parcouru de frissons inexpliqués. Lorsque je parvins à distinguer le visage du cavalier, mon cœur décida de perdre sa cadence habituelle. Alors ?

Son agacement coupa vite court à ma contemplation. J'acquiesçai légèrement de la tête, prête à fuir si la situation devenait trop étouffante. Hélas je n'eus pas cette chance. A peine avais-je décliné mon identité, que l'on me plaqua un mouchoir imbibé d'alcool sur le nez. Je jurai entendre mon frère crier mon nom, mais je n'eus pas le temps de le confirmer. Car déjà, je m'assoupissais. Ayant pour dernière vision, la beauté du visage du cavalier et la dureté de ses pupilles noires.

  

  

Leur réveil avait été compliqué. Il nous avait fallu plus de temps que prévu pour toutes les trouver. Trois jours rien que pour les rassembler. La Rouge et la Bleue avaient été particulièrement difficiles à dénicher. Maintenues dans des sommeils forcés jusqu'au retour au palais, tard dans la nuit, elles émergeaient déboussolées. L'Étoile Indigo, en sa qualité d'aînée, avait été la première à nous demander la date et l'heure. Lorsqu'elle eut sa réponse, elles avaient toutes tour à tour blêmit. Pour la première récupérée, plus de quinze jours s'étaient écoulé, quand la dernière avait comaté un peu moins d'une semaine.

 

Certaines d'entre elles commençaient à comprendre ce que leur présence ici signifiait. La Rose souriait en admirant tout, la Jaune était plus craintive, la Verte intriguée. Mais d'autres étaient nettement plus sur la défensive, à l'image des deux Étoiles sœurs ou de la Bleue.

_ Général ?, m'interpella un soldat.

Je me sentis fermer les yeux et la migraine pointer le bout de son nez. Je n'avais pas aimé son ton du tout...

 

_ Quoi ?, ma réponse tenait plus du grognement renfrogné. Je savais de toute façon que quoi que ce garde voulait me dire, ça n'allait pas me plaire.

_ Il me semble qu'il manque une jeune fille...

 

J'ouvris les yeux et le foudroyai du regard. Je les comptais alors rapidement. En plus de la Noire et de la Grise, qui de part leurs statuts particuliers étaient actuellement en entrevue avec la Reine Mère, je dénombrai neuf jeunes femmes. Ce qui nous menait à un total de onze. Je me massai les paupières en grognant.

 

_ Et merde..., il en manquait bien une. Et pas n'importe laquelle. L'une des deux candidates au titre de Favorite. Les anneaux Rouge et Pourpre hésitaient tous deux entre la fille de meunier et l'aristocrate, aussi c'était au Roi de trancher. Encore fallait-il qu'il ait deux prétendantes à départager. Gardez un œil sur ces femmes, je vais chercher l'absente !

Les gardes postés aux portes se mirent au garde à vous. Je filai alors loin des appartements des Étoiles, à la recherche de l'étoile manquante, dont le nom me revint enfin en mémoire.

 

Chiara Thémis.

  

  

Les écuries. Malin mais inutile. Les gardes y étaient bien plus nombreux ici que partout ailleurs. L'arène militaire et l'hippodrome royal jouxtaient les étables. Il n'avait donc pas fallu longtemps au Général pour retrouver la trace de l'Étoile fugueuse. Elle bataillait avec une selle, à tenter en vain de voler un cheval pour fuir la vie qui l'attendait. Mais elle tremblait trop pour arriver à quelque chose. Memnon la prit presque de la pitié. Blême comme elle était, les effets de la drogue d'étourdissement devaient encore se faire ressentir.

 

_ C'est elle.

 

Memnon ferma les yeux dans un soupir discret à cette voix. Il se tourna, sans faire preuve d'une quelconque surprise, vers son Roi. Il avait du entendre qu'une des filles osait l'ignorer. Le souverain s'approcha et la regarda se débattre avec les verrous des enclos. Elle avait beau ne pas être totalement réveillée et chanceler, elle en restait pour le moins fougueuse.

 

Memnon jaugea à nouveau la pauvre Chiara. Elle ne les avait pas du tout remarqués, luttant contre le sommeil. Elle n'avait donc pas entendu le Roi sceller à jamais sa fortune. Ne savait pas encore qu'à faire preuve d'autant de frénésie inutile, elle était devenue la Rouge.

 

Memnon s'avança. Son ombre se projeta sur le mur face à Chiara. Elle redressa la tête et affaissa ses épaules. Elle ne sembla ni surprise ni vaincue en se retournant. Memnon nota qu'elle n'était donc pas du genre à faire de scène.

 

_ J'aurai tenté au moins...

 

Peut-être parce qu'elle savait très bien qu'elle tout comme les autres Étoiles étaient désormais épiées. Chacun de leurs gestes, de leurs respirations, étaient désormais surveillés.

 

Le regard céruléen de Chiara plongea dans le vide. Memnon s'écarta du chemin et la fixa, impassible. L'ordre n'avait pas besoin d'être formulé pour être clair et compris. Elle avança d'elle-même. Lorsqu'elle emprunta le chemin menant aux appartements des Étoiles, il lui agrippa le bras et la ramena vers un autre sentier. L'aile dans laquelle ils entrèrent était plutôt éloignée de ses quartiers. Elle le suivit, sur ses gardes. Il ouvrit finalement une porte et d'un geste de la tête, lui intima d'entrer. A peine eut-elle posé ses deux pieds dans la pièce qu'il claqua la porte sans la rejoindre.

 

Elle battit trois fois des paupières, l'air benêt. Pourquoi l'avoir conduite ici ? Un frisson la saisit. Allait-on... La punir ? Elle grimaça. Oui... C'était totalement probable. Elle s'assit. Bientôt, les minutes devinrent heures, sa patience cédait de plus en plus. Des heures que la fugueuse était retenue ici, seule, dans cette pièce aux luxes et richesses étouffants. La Lune avait même déjà remplacé le Soleil. Était-ce ça sa punition ? L'attente ?

 

Elle s'allongea dans le canapé et consentit enfin à somnoler. Son corps était si lourd et elle se sentait à l'étroit. Sa main caressa sa gorge tandis qu'elle se la raclait. Elle avait du mal à respirer ici. A moins que... Elle changea de position et haleta lentement. Non ce n'étaient pas ces quatre murs le problème. Mais ce ridicule corset qu'on l'avait obligée à revêtir et auquel elle n'était pas habituée. Elle tata le vêtement à la recherche du moindre bout de lacets ou d'ouverture. Mais ça ne servait à rien, elle faisait chou blanc. Il était trop sophistiqué. Les lacets dorés, entremêlés dans une cacophonie harmonieuse, étaient inaccessibles et l'empêchaient de retirer le bustier et donc de recouvrer des sensations. Les yeux clos, elle se concentra sur toute autre chose, histoire d'oublier son inconfort.

 

Elle se focalisa sur les bruits, les odeurs, tout ce qui pouvait la tenir éloignée de cette désagréable compression qu'elle ressentait. Mais ses pensées finissaient toujours par revenir sur ce corset. Elle bougeait encore et toujours, changeait de position, mais c'était inutile. De dépit elle consentit à ouvrir les yeux. Et fut aveuglée. Ses yeux pleurèrent le temps de s'adapter à cette nouvelle luminosité. Il faisait... Jour ? La mise au point se fit et elle put confirmer son intuition. Oui... C'était bel et bien l'aube. Elle se leva et trouva sur un petit meuble à l'entrée de quoi manger. On était donc venu la voir. Son ventre criait famine mais elle refusait d'y toucher, doutant de sa provenance. Même si sa nuit avait loin d'être été de tout repos, elle admit que son esprit était plus clair, purgé des vapeurs anesthésiantes qui l'avaient conduite ici.

 

Elle croisa alors son reflet dans le miroir pour constater l'étendu des dégâts causés par une semaine entière de sommeil agité. Toutefois, ce ne fut ni ses cernes, ni ses yeux fatigués qui l'interpellèrent. Mais sa robe. Celle qu'on lui avait ordonné d'enfiler à leur arrivée hier matin. Elle lui avait déplu immédiatement. Et lui déplaisait encore. Trop belle, trop claquante. Trop précieuse. Et cette couleur. Du rouge... Partout. Seules les coutures dorées et quelques dentelles pourpres tranchaient ce carmin immaculé.

 

Chiara avait une sainte horreur de cette couleur. Pour cause ? Sa peur inconditionnelle du sang. Une simple perle du fluide vital la mettait en horreur. Et cette couleur rouge si forte, intense et prononcée, bien qu'acceptable, la transportait dans un profond malaise.

 

Elle inspira longuement. Elle se retrouvait donc dans le même temps privée de liberté, d'air et cloîtrée dans une robe qui la révulsait, pour une durée visiblement indéterminée. Un bonheur. Elle atteignit la fenêtre et colla son front à la fraîcheur de la vitre. Ça l'apaisa un peu. Elle devait penser à autre chose.

 

Elle se cramponna à la première distraction possible : la contemplation des jardins. A l'exemple de tout ce qu'elle avait rencontré et observé jusqu'ici, ces jardins étaient démesurés. Aux pieds des colonnes de marbre, une place de gravas aux couleurs pastels débutait le tout. Ces petits cailloux sillonnaient par la suite une série de sentiers. Entre chacun de ces chemins, des bosquets colorés délimitaient les promenades. La patte humaine était omniprésente, il était aisé de voir que la Nature ne possédait plus aucun droit en ces lieux. Le Soleil matinal éblouissait encore quelque peu la jeune femme, tant et si bien qu'elle ne devinait qu'à peine les jeux d'eau des fontaines à l'horizon. Elle n'appréciait pas vraiment l'harmonie contrôlée des plantes et préférait en tout point le bois sauvage de son village.

 

Elle poussa un long soupir, qui lui tira une grimace de douleur. Cette profonde expiration avait mis à mal son abdomen prisonnier du corset depuis bien trop longtemps. Seulement cette fois, elle peina à recouvrer son souffle. Son ventre n'arrivait plus à se contracter. Une légère toux se manifesta, mais à chaque raclement de gorge, elle perdait de plus en plus d'air. Ainsi la toux se transforma en une violente manifestation d'agonie. Elle tituba jusqu'à la porte, mais s'effondra avant même d'atteindre la poignée massive. Dans sa chute, elle tenta, vainement, de prendre appui sur une frêle table en verre disposée à ses côtés. Elle s'écroula avec le pauvre mobilier, s''arrachant les poumons. Elle ne parvenait même plus à sortir le moindre son. Aucun cri.

 

Dans cette torpeur, elle remarqua alors les débris qu'avait laissés la table dans sa chute. Elle déchira sa manche, l'enroula fermement autour de sa main et se saisit à la hâte du plus gros morceau de verre. Avec une folle frénésie, elle déchira le corset. Le vêtement résista au début, mais elle l'eut à l'usure. Elle réussit à fendre le devant de la toilette. Soulagée et respirant à nouveau, elle s'étala de tout son long sur le sol. Au moment même où le Roi entra.

 

Accompagné du Général.

  

  

C'était désormais certain. Elle n'avait rien de comparable aux précédentes Étoiles. Que ce soit leur manière, leur politesse mielleuse et leur distinction, elle en était totalement dépourvue. Écroulée de cette manière sur le sol, son corset fendu, laissant ainsi apparente sa peau nue, c'était on ne peut plus évident. Et pourtant, elle restait parée de son indéfectible arrogance. Bon nombre, si ce n'était la totalité, de femmes se seraient senties gênées et honteuses d'être dans pareille position face à l'homme le plus puissant de notre Royaume. Mais elle, non. Elle soutenait les regards. J'aurais pu mentir et dire qu'en se relevant, elle avait perdue toute crédibilité, mais il n'en était rien. Elle se releva conservant la même hargne et fougue dans ses pupilles aux couleurs du ciel et s'épousseta rapidement. Je notais la rougeur des ses joues. Elle avait dormi dans cette tenue et avait du souffrir d'asphyxie.

_ Allons-donc..., intervint mon seigneur, plus amusé que dérangé. Que s'est-il passé ici ?

_ Oh ne vous en faîtes pas Votre Altesse..., son ton dédaigneux en disait beaucoup sur l'inclination de cette fille envers notre Roi. Il s'agit juste de la manifestation de mon agonie...

 

La monotonie de sa voix et son regard indifférent, le Roi n'y était pas habitué. Voir une si belle créature le fuir et le défier ouvertement en moins de vingt-quatre heures était une grande première pour lui.

 

En m'inclinant face à mon Roi, je perçus le bref soupir de la belle.

_ Veuillez vous assurer que Dame Thémis ait toutes les informations qu'elle souhaite et les meilleurs soins...

Ô joie...

 

Il s'inclina à son tour, mais elle ne lui accordait pas même un regard. Étrangement, et heureusement, ce comportement amusa le Roi. Ce fut donc avec le sourire qu'il prit congé, nous laissant seuls. Un long silence suivit son départ, silence durant lequel j'entrepris de débarrasser les tapis des éclats tranchants de verre.

_ Une Étoile...  Est-ce vraiment ce à quoi je suis réduite... ?, l'écho de son soupir envahit la salle. Elle s'affaissa avec une nonchalance pleine de grâce sur l'un des fauteuils. Elle prit sa tête dans ses mains et se cloîtra dans un mutisme assourdissant. Je devais bien avouer que cette singulière enfant m'intriguait de plus en plus. Voilà plus de quatre ans que je servais le Roi et j'avais vu défiler bon nombre de courtisanes. Aucune n'avait jamais pris la nouvelle d'une manière si sombre. Bien au contraire. Le Roi a-t-il vraiment le droit de choisir ses promises sans consentement ?

 

A ces mots j'eus toutes les peines du monde à contenir mon hilarité. Elle me lança un regard assassin. Je compris alors que cette sotte pensait réellement cela. Était-il possible qu'elle ne connaisse rien des Étoiles ?

_ Désolé de vous contredire ma chère mais son Altesse est déjà fiancé à la Princesse d'Ambrelune...

Dans ses yeux, une lueur étincelante s'alluma. Comme si l'espoir revenait.

_ Dans ce cas en quoi suis-je utile ici ?

 

Je la jaugeais un instant. La réponse allait lui plaire... J'en mettais ma main au feu. Un rictus mauvais surprit mes lèvres tandis que je lui répondais.

_ Votre rôle est de servir les désirs du Roi. Un mariage de convenance et arrangé n'est rien de bien palpitant. Vous autres, Étoiles, êtes là pour combler les manques charnels de sa Seigneurie.

           

Elle poussa alors un long cri d'agonie, son corset encore serré malgré l'ouverture fit le reste. A ces mots, elle s'effondra à nouveau, inconsciente, dans mes bras.

  

  

 

Un sombre rêve... J'en avais connu des milliers par le passé. De ces cauchemars effrayants qui hantent même en grandissant et dont les réveils étaient tous semblables : en sueur, tremblante, vulnérable. En cet instant, j'étais précisément dans ce même état. Malheureusement, mon réveil ne sonnait pas le soulagement ou la fin du cauchemar cette fois. Le mauvais rêve était dorénavant réalité. J'étais bel et bien devenue une Étoile. Une esclave du plaisir. Un objet sexuel.

_ Vous vous êtes enfin réveillée..., fit une voix rassurante à quelques centimètres de mes oreilles.

 

La douceur de cette voix m'apaisa de suite. Je croisai alors un regard doux et tendre. Une splendide femme brune aux yeux printaniers était penchée sur moi. Elle épongeait mon front, je distinguai à son doigt un anneau étoilé bleu. Un rapide coup œil aux alentours et je vis que nous n'étions pas seules. D'autres femmes aussi différentes les unes des autres que belles étaient présentes, avec le même anneau. Seule la couleur changeait. Je regardai à mon tour ma main gauche et vis que j'en possédais moi-même un. Je dus réprimer un haut-le-cœur lorsque je vis la couleur dont j'avais hérité. Rouge. Bien évidemment.

 

Une nouvelle venue, à la bague aussi jaune que ses pupilles rondes, me proposa une assiette emplie de victuailles. Si j'avais pu refuser la dernière fois, la faim était désormais plus forte que la raison. Je m'en emparais avec ferveur. Le Roi était un vrai sadique. Ces anneaux... Nous l'avions toutes à l'annulaire gauche, telle une alliance.

 

La nouvelle venue plaça l'une de ses mèches brunes derrière son oreille avant de ramener l'ensemble de sa chevelure sur le côté. Elle tombait en une cascade qu'elle natta. Je pris le temps de l'observer minutieusement. Tout avait été mise en œuvre pour rendre son aura plus romantique encore qu'elle ne devait déjà l'être au demeurant. Sa robe au décolleté cœur tombait sur ses hanches discrètes, sans rien mouler tandis que sa coiffe faite de roses écarlates et orangée constituait l'unique touche de couleur, autre que le jaune, de sa tenue.

 

_ Il est quelle heure ?, demandai-je, craignant quelque peu la réponse.

_ Presque onze heures trente..., soupira agacée une brune, à l'autre bout de la salle, que je supposais, si les bagues indiquait nos statuts ici, être l'Étoile Orange. Elle se redressa et vint s'installer près de moi. Elle saisit l'éponge et se mit à tapoter mon front avec. Elle était plutôt brusque dans ses mouvements, mais j'appréciais l'attention. Sa tenue n'avait, en comparaison de la Jaune, rien à voir. D'inspiration militaire, sa poitrine tout comme ses avants bras et son bassin étaient habillées d'une fine armure en fer blanc, agrémentés de quelques reliefs dorés. Une ceinture en cuir épais assurait quand à elle la jonction entre le haut et le bas de sa tenue qui se terminait par une jupe ample. Mais le plus saisissant chez elle, au-delà de ses habits, restait son regard. Un sublime regard hétérochrome vert-orange. Ma pauvre fille. Tu as l'air perdue...

 

Sa peau était plus mate que celle de sa voisine et sa gestuelle plus brusque. Mais par le fait qu'elle soit directe et ne fasse aucune politesse exagérée, je l'appréciais déjà. J'avalai ma bouchée et lui répondis.

 

Elle contint un léger gloussement, mais un sourire s'imposait déjà sur son fin visage. Elle se redressa alors et, avec son petit menton haut et fier, commença sa petite leçon.

_ Ma chère, bienvenue dans la chambre des Étoiles !, elle indiqua l'ensemble de la pièce, immense au passage. C'est ici que nous toutes allons désormais vivre ! J'ai ouï dire que tu n'y connaissais rien à ce système..., j'acquiesçai, bien que je me demandais qui avait pu la mettre au courant. Le visage du Général passa alors furtivement dans mon esprit. Mon corps se tendit aussitôt. Elle continua. Et bien nous sommes, sans une once de vantardise, les douze plus belles femmes de Bordeciel ! Et pour cette raison, nous avons toutes été choisies pour devenir les courtisanes personnelles du Roi ! Seule sa Majesté peut nous toucher et nous couvrir de baisers ! Aucun autre homme ne le peut, sous peine de lourdes représailles !

_ En d'autres termes la mort..., voulus-je confirmer.

Elle réitéra son sourire amusé.

 

Je devais bien reconnaître que notre assemblée était bel et bien composée que de beautés aussi variées qu'impressionnantes. Le roi avait donc du goût. Sadique. Mais raffiné. Quel agréable mélange... - soupire.

 

Elle me fixa de ses yeux vairons.

 

Mon sang ne fit qu'un tour. Mon anneau devint d'un coup plus lourd. Il me brûlait même la peau. J'eus l'envie de le retirer Il était hors de question que je vive cette vie là. Hélas j'avais beau me démener, à tirer encore et encore sur la bague, elle ne bougea point.

_ Proposition fort alléchante !, sifflai-je.

 

Dans un coin isolé, une jolie brune partit dans un rire chantant. Elle sautillait sur le fauteuil, ses deux nattes rebondissant sur ses épaules café. Elle était stupéfiante. Ainsi riante, elle dégageait un je ne sais quoi de féerique. Et ses vêtements aidaient beaucoup. Un châle marronné entourait grossièrement son visage souriant. Elle mit en avant sa main, d'où scintillait un anneau vert.

 

Elle souriait, pourtant je n'arrivais pas à lui répondre. Imaginer cette jolie fleur, bien trop jeune pour ce monde de chair, souillée par un imbu narcissique me donnait mal au cœur. Me répugnait. A son nom, je compris qu'elle venait des terres de Raphania, contrée la plus au sud. Cette cité toujours colorée et en fête correspondait bien à Nessa. Elle bondit de sa chaise et fondit sur moi dévoilant ainsi le reste de ses habits. Un haut dénudant ses épaules et un saroual colorés dont les manches comme les jambes, bouffantes à souhait, étaient fendues sur la totalité de leurs longueurs. Elle se saisit de ma main baguée. Son anneau vert n'était pas le seul à orner sa main. D'autres fins bijoux dorés habillaient ses doigts longilignes. Les plus belles étoffes et les plus précieux bijoux venaient de Raphania, terre des tisserands et des joailliers.

_ La Rouge hein...  Je ne sais pas si c'est une chance ou non.

Elle gloussa, puis s'écarta à nouveau, se postant vers l'Étoile Orange.

_ Je peux faire les présentations cette fois ?, supplia-t-elle les autres Étoiles. Aucune ne sembla y voir d'inconvénient. Génial ! Donc attention c'est parti ! Étoile Orange, Sélie Briséïs..., commença-t-elle par dire me pointant celle que j'aimais déjà. Puis elle se tourna vers la femme qui m'avait réveillée, placée juste derrière l'Étoile Jaune, qui nous regardait avec un beau sourire aux lèvres. Sa robe courte possédait de nombreux détails en fourrure blanche, ainsi qu'une capuche, comme pour imiter les manteaux des habitants d'Alabard. L'Étoile Bleue, Laureline Féänor et L'Étoile Jaune, Gwladys Linoa, des amies d'enfance..., elles me firent un signe de tête et je me mis à les envier. Elles n'étaient pas – ou moins – seules. Étoile Rose, Meera Zell..., Nessa se pencha vers moi. Entre nous, elle, tu l'évites !, me souffla-t-elle en me désignant la jeune femme à l'incroyable chevelure rosée. Elle était renfrognée et fixait chacune d'entre nous avec un petit air supérieur écœurant. Sa robe bouffante et bien plus traditionnelle n'arrangeait pas son côté snob. Elle avait même eu le droit à une tiare. Pourtant, son air hautain faisait pâle figure face à celui de la sublime femme brune à ses côtés. Elancée et pulpeuse, son visage aux traits élégants et délicats portait un superbe regard parme. Tout en elle exprimait un haut rang. Raffinée, elle n'en était pas moins vaniteuse. Et ça se voyait. Elle était peut-être celle qui était la plus sobrement vêtue, avec sa longue robe sirène noire. Mais elle n'avait besoin d'aucun artifice pour être remarquée. Sa chevelure aux naturels reflets verts sapin et son teint froid la rendait déjà superbe. Elle jaugeait et jugeait sans cesse. Médisait même. Ah oui alors, l'Étoile Pourpre, Siobhan d'Ysatis... Honnêtement, tiens en toi la plus éloignée possible aussi. Elle aurait dû être la Rouge techniquement, si tu n'avais pas été là... Donc autant te dire de suite que ta présence lui est indésirable !

_ Noté...

 

Mon murmure sourd était également tremblant. Quelque chose en cette fille m'effrayait. Autour d'elle ondoyait une sorte d'aura glaciale et noire, presque meurtrière. Mais je comprenais parfaitement pourquoi elle avait été pressentie un temps pour être la Rouge. Je me demandais même comment j'avais pu la doubler.

_ Bon j'en étais où moi du coup ?

 

Sélie soupira à nouveau et fit rouler ses incroyables yeux de lassitude. Elle croisa mon regard et pour je ne sais quelle raison, elle me sourit. Le courant était bien passé entre nous. J'en étais par ailleurs plus qu'heureuse. Entre elle et la jolie Nessa, j'avais désormais la certitude de ne pas me retrouver seule. Je devais impérativement penser à les inclure dans mes projets futurs d'évasion. Car bien que mes nouvelles camarades, la Rose et la Pourpre à part, semblaient agréables à vivre je ne pouvais offrir mon corps aussi indécemment. La fuite serait ma priorité absolue et si j'avais la possibilité de sortir Nessa et Sélie de cet enfer, cela n'en serait que d'autant plus gratifiant.

_ Ah oui !! C'est ça ! Bon là je te la fais en accéléré... Étoile Indigo Eowyn Nokomis ! Étoile Noire Athénaïs d'Ilyn ! Étoile Marron Edéa Isalys et sa petite sœur l'Étoile Ocre Cora Isalys ! Et enfin l'Étoile Grise Tina l'Ombrelune ! Voilà ! C'est tout !

 

Chacune à leur tour, elles m'avaient gratifiée d'un léger sourire. Mais aussitôt leurs noms passés, elles s'étaient toutes prostrées à nouveau. En fait, elles semblaient même toutes à leur manière être effrayées. Si Eowyn, Athénaïs et Tina gardaient un calme olympien, je voyais à leurs regards vides qu'elles n'en étaient pas moins aussi peu ravies que moi d'être ici. La première, une femme noire sculpturale, fixait un point lointain. Tout avait été fait pour mettre en avant sa silhouette de rêve. Sa robe orange longue était tout en transparence, hormis aux points critiques. Des éclats de pierre avaient été parsemés dans sa crinière de nuit volumineuse et dense.

 

Sa voisine se cachait le visage derrière ses cheveux corbeau, qu'elle avait bien plus court que nous toutes. Sa robe au vert émeraude et sa couronne faite de vigne de vin et de lierre témoignait d'un sens du détail plus important pour le choix de sa tenue que pour les autres. Car si sur le papier sa robe n'était pas la plus originale, elle était sans l'ombre d'un doute la plus travaillée et détaillée.

 

Enfin la dernière, blonde, à la tignasse relevée et coiffée de broches luxueuses, admirait la vue depuis la fenêtre. Sa robe blanche couvrant l'entièreté de son corps, à l'exception de ses bras, qui étaient toutefois gantés. Des bandes horizontales transparentes sur le jupon permettaient néanmoins d'aérer la tenue. Sa respiration lente exprimait son profond malaise. Je m'attardais davantage sur elle. Tina l'Ombrelune... ? Qu'avait-dit le Général déjà... ? Que le Roi était fiancé à la princesse d'Ambrelune... ? Les similarités dans les noms étaient-elles une coïncidence ? Oui. Sans doute. Sélie avait bien précisé que nous étions les plus belles de notre royaume. Tina était donc logiquement une Bordecienne. Pourtant... Le pendentif qu'elle portait, à l'effigie de l'astre nocturne, insinuait comme un doute en moi. - Chiara... Arrête de voir le mal partout... Les Ambrelains n'ont pas exclusivité sur les bijoux Lune. - Je repris mon inspection, gardant ce léger doute en mémoire dans un coin de ma tête, sait-on jamais.

 

Les deux sœurs, à la ressemblance d'autant plus frappante dans leurs robes empires beiges, se faisaient des messes basses, mais je n'avais pas manqué de remarquer les rougeurs qui occupaient le dessous de leurs yeux caramel, même si à l'exemple d'Athénaïs, elles utilisaient leur chevelure châtain comme paravent.

 

Gwladys avait désormais fini sa tresse et jouait nerveusement avec les pointes de ses cheveux. Laureline, dont les cheveux ondulaient dans son dos, s'était mise un peu à l'écart. Elle se tenait bras croisés, contre le mur face à moi. Yeux clos, son front plissé indiquait tout de son anxiété. Je me sentis alors rassurée de voir que, même plus informées que moi, elles aussi ne savaient quoi faire.

_ Dites...., tentai-je, intimidée par le lourd silence qui s'était imposé depuis la fin des présentations. J'eus bientôt droit à une dizaine de regards différents posés sur moi. Si certains étaient bienveillants, d'autres l'étaient nettement moins. Bien, Nessa n'avait pas tord. Se tenir très loin de Siobhan semblait plutôt raisonnable. Qu'est-ce qu'on est censé faire ?

Le claquement de langue de Siobhan ne pouvait passer inaperçu.

_ Je crois que tu n'as pas bien compris notre position ! Nous toutes, fit-elle indiquant chacune des Étoiles, avons été élevées dans l'optique de devenir des Étoiles ! Les Confidentes du Roi !!

_ C'est une manière de le présenter..., m'enquis-je de répondre.

Elle rit à gorge déployée et s'avança, vipérine.

_ Tu crois qu'une simple courtisane aurait droit à pareil endroit pour loger ? Non. Elles sont bafouées et humiliées et doivent se débrouiller par leur propre moyen... Si elles ne trouvent pas d'hommes avec qui coucher à la nuit tombée, elles dorment dehors. Alors que nous..., elle écarta les bras avec un sourire triomphant effrayant. Nous sommes mises sur un piédestal ! Apprêtées par la Cour, nous avons les faveurs du Roi ! Il nous aime dans le plus grand des respects ! La moindre des choses tout de même est de combler ses désirs les plus fous ! Je suis fière d'être aimée par l'homme le plus puissant de notre Royaume ! Un homme qui, pour ne rien gâcher, est très séduisant..., ses bras retombèrent le long de son corps. J'eus alors droit à sa moue la plus méprisante. Mais ça tu ne peux le comprendre..., ses yeux inspectaient ma robe en lambeaux. Il est facile de voir qu'on ne t'a jamais enseigné les bases des bonnes manières et du raffinement. Détruire une robe confectionnée spécialement pour soi, quel cruel manque d'éducation..., elle se pencha vers moi, sibylline. Le Roi se rendra bien vite compte de son erreur pour t'avoir choisie comme étant la Rouge. Et bientôt la pauvrette, la paysanne, retournera à son moulin...

 

Meera se joignit à elle, dans un rire strident. Elles m'insupportaient au plus haut point avec leur manière de princesse.

 

_ C'est tout le mal que je me souhaite...

 

Si je ne trouvais pas une répartie suffisante pour lui renvoyer l'insulte, ma réponse eut au moins l'avantage de taire leur rire.

 

_ On te l'a dit..., intervint Sélie. Ne fait pas attention à Siobhan...

 

_ Ouais...

 

Je préférais néanmoins sortir prendre l'air. J'envoyais valser ma couverture et marchais jusqu'à la sortie, prenant le soin de ne pas avoir l'air trop pressée. Je ne voulais pas faire ce plaisir à Meera et Siobhan. Lorsque je passai enfin la porte et la refermai, le silence reprit ses droits. Mon esprit débarrassé des pollutions sonores des deux jacasses, j'eus tout le loisir d'assimiler les paroles de Siobhan. Et ce fut avec ironie que je réalisai que de nous toutes, j'étais le vilain petit canard. Bien que Favorite. La simple pensée de mon sort dans ce palais me donnait des nausées. Des haut-le-cœur profonds.

 

Non...

 

C'était beaucoup trop violent même pour pareil destin. Car je n'avais pas que des nausées. Ma tête me cognait, mes tempes battaient bien trop vite sous ma peau. Et mon nez... Oh oui... Il me brûlait. Je ne supportais pas l'odeur qui m'entourait. Et pourtant... J'y étais attirée. Je la suivais, la pistant vers un couloir annexe. Curiosité morbide, comme toujours. A chacun de mes pas, mon état empirait. Ce devait être là. Tout proche. Je passais une tête à l'embouchure de deux couloirs.

 

  

Sa voix resta en suspens. Car en face d'elle, se trouva son pire cauchemar. Une marre de sang avec en son sein, un homme étendu, les yeux grands ouverts, mais sans vie. Et au dessus du cadavre, son geôlier, des perles de sang sur le visage, placide et froid.